Athanase Karayenga_Burundi : quo vadis ?

Où va le Burundi ? Le pays est en guerre civile depuis avril 2015. Une guerre ponctuée par des phases de violences extrêmes et d’accalmies trompeuses. Ce 22 octobre 2019, l’incursion revendiquée par les combattants de RED-Tabara va-t-elle réveiller le volcan qui dormait ?

Cette nouvelle phase de la guerre est amplifiée de façon spectaculaire et puissante par des réseaux sociaux en ébullition. Ces derniers diffusaient, en continue, des informations forcément invérifiables. Ils déversaient sur les écrans des téléphones et des ordinateurs des tombereaux de photos, d’audios, de textes, d’émoticônes ingénues, des mensonges à la pelle, de la propagande virulente, des éructations, des apologies de la violence, des propos de haine incandescente. Mais aussi des cris de victoire et de fierté retrouvée. C’est selon le bord d’où s’expriment les intervenants dans cette guerre des ombres menée sur internet.

En particulier, les propos enflammés des Imbonerakure, leurs témoignages précis avec indication du code secret de position, leurs appels au secours afin que les militaires interviennent rapidement, les informations qu’ils donnent sur les lieux, les localités, les collines, les fonds de vallées, sur la géographie du champ de bataille où se trouvaient les combattants de RED-Tabara, leurs réflexions inquiètes sur « les bérets rouges » figurant parmi ces combattants et qui seraient des Tutsi, les déclarations où ils promettaient d’anéantir l’ennemi, tous leurs messages donnent vraiment le vertige et la nausée.

Le Gouverneur de Bubanza, M. Térence Nobus Butoyi, dont les propos étaient également diffusés sur le réseau de communication des Imbonerakure est le seul à essayer de calmer le jeu et à demander de réduire le volume des messages supposés secrets entre les Imbonerakure.
« Nyabune » en panne
Les citoyens burundais ordinaires ont découvert, ahuris, l’extraordinaire maillage du réseau de communication entre les Imbonerakure, les Services de renseignement, l’armée, la police et l’administration provinciale. La fameuse « nyabune » ou corps de défense reposant sur quatre piliers est à l’œuvre et son réseau de communication semble solide et efficace.

Cependant, ce réseau révèle une défaillance mortelle. Supposé hermétique, il est, à l’évidence, pénétré de l’extérieur. Ou alors, il est trahi, de l’intérieur, par quelques-uns de ses membres qui relayent et diffusent les messages supposés secrets sur les réseaux sociaux. De ce fait, le pouvoir peut se faire du souci. Car, cette fuite d’informations ultra sensibles traduit probablement, le désir ardent de quelques membres du régime de Pierre Nkurunziza de contribuer au changement de gouvernement. Est-il encore possible de colmater les brèches de ce réseau et limiter les fuites d’informations. Rien n’est moins sûr ! Un parfum de trahison flotte dans l’air !
Profitant de l’incursion des combattants de RED-Tabara, certains Burundais dans le cercle proche du pouvoir ont renoué avec le langage détestable des jours tragiques que le pays connaît trop bien et depuis trop longtemps. Certains esprits se sont enflammés et beaucoup de citoyens s’interrogeaient et s’inquiétaient. Où va donc le Burundi ?
Et comment en est-on arrivé là ?
D’abord un rappel succinct du décor général de cette drôle de guerre. Le déferlement de photos de présumés policiers ou militaires neutralisés mais qui, en réalité, dateraient de 2016, d’après les connaisseurs. Un interminable crépitement d’armes automatiques diffusé sur audio comme une musique d’un orgue de barbarie macabre.
Des revendications de victoire par la police qui a annoncé qu’un groupe de « 14 malfaiteurs a été anéanti et leurs armes saisies » . Le contraste est d’ailleurs saisissant entre le triomphalisme de la police et la discrétion, pour ne pas dire le silence radio des combattants de RED-Tabara. Mais tout cela c’est du déjà vu et du déjà entendu sur toutes les scènes de guerre dans le monde.

Cependant, la violence effroyable, dans toutes les guerres civiles burundaises a atteint, ici, un degré d’horreur inédit. Elle est illustrée par une image insupportable d’un supposé Imbonerakure brandissant la tête coupée d’un supposé combattant de RED-Tabara. Par le tsunami d’audios submergeant les réseaux sociaux. Par le flot continu d’informations qui circulent à la vitesse de la lumière entre les diasporas burundaises à travers le monde. Tous ces faits, indiquent que, cette fois-ci, la guerre burundaise est devenue virtuelle aussi. Elle a envahi le champ numérique planétaire.
Néanmoins, un mystère persiste. Malgré la surabondance d’informations et de données diverses et variées qui accompagnaient l’incursion supposée des combattants de RED-Tabara, le citoyen lambda ne peut s’empêcher de se poser plusieurs questions lancinantes.

Quelle tactique militaire ou subterfuges de magicien RED-Tabara a-t-il utilisés pour réussir son incursion sur le territoire burundais en provenance de RDC ? Comment le mouvement des troupes de RED-Tabara à partir du Sud Kivu, une province voisine du Burundi, a-t-il pu passer inaperçu ? Alors que l’armée burundaise, les services de renseignement et les Imbonerakure disposent certainement de grandes oreilles et de grands yeux pour surveiller toute la plaine de la Rusizi et pour scruter tous les mouvements humains tout le long de la frontière commune entre la RDC et le Burundi ?
Faisons une pause
Suivons le parcours des combattants. Le contingent de RED-Tabara quitte son ou ses campements en RDC. Il traverse la vaste plaine de la Rusizi côté congolais. Il franchit la grande rivière Rusizi probablement avec des embarcations légères. Il pénètre la forêt de Rukoko côté burundais. Il traverse une vaste zone de culture du riz, se dirige vers Gihanga dans la commune de Mpanda à l’Est de la Rukoko.
Jusqu’à présent, personne n’a détecté le contingent, ne l’a vu, ne l’a entendu et ne l’a signalé. Où étaient donc les vigiles civils, notamment, les Imbonerakure supposés faire des rondes nocturnes incessantes dans la zone de Gihanga ? Une localité où, semble-t-il, le couvre-feu a été instauré depuis plusieurs mois. De Mpanda, le contingent poursuit sa route sur environ 30 km vers le Nord-Est et arrive à Musigati.
Toujours, selon plusieurs sources crédibles, deux groupes du contingent pénètrent dans la forêt primaire de la Kibira. Seule l’arrière-garde de ce contingent, un troisième groupe aurait enfin été détecté par les Imbonerakure qui ont sonné l’alerte et demandé le secours de l’armée et de la police. A la suite de ces appels au secours, les messages audios de certains Imbonerakure indiquent que de nombreux militaires seraient arrivés à Musigati avec plusieurs véhicules de transport de troupes et plusieurs policiers dans des camionnettes double cabine.

Encore plus incroyable ! Certaines sources indiquent une tactique encore plus audacieuse que le contingent des combattants de RED-Tabara aurait utilisée pour réussir son exploit, son débarquement du Jour J. En fait, depuis samedi, le 19 octobre 2019, le contingent se serait installé à Muzinda. Ses combattants auraient porté des tenues militaires neuves identiques à celles des militaires de l’armée gouvernementale. Pour cette raison, la population locale les aurait considérés comme des militaires de l’armée gouvernementale et ne se serait pas méfié. En outre, toujours ces sources, les combattants auraient été lourdement armés de mitrailleuses, notamment, et auraient été aussi nombreux qu’un contingent d’un camp militaire. Mais combien ? Nul ne le sait. Des affabulations ? Des fantasmes ? En guerre burundaise, toutes les manipulations et distorsions de l’information sont possibles.
Le porte-parole de la police qui a affirmé, dans un point de presse, que les malfaiteurs étaient au nombre de 11, n’a probablement pas entendu les appels au secours des Imbonerakure qui affirmaient que les combattants de RED-Tabara étaient très nombreux. Par ailleurs, ce même porte-parole n’avait certainement pas vu les photos des camions de transport de troupes gouvernementales qui ont saturé les réseaux sociaux. Sinon, il se serait rendu compte que les troupes gouvernementales qui ont accouru en nombre ne se seraient pas déplacées pour neutraliser un groupe de « 11 malfaiteurs » seulement.
Leçon de la fable
Avant de mentir, ou pour le dire plus poliment, avant de diffuser une information inexacte, en ces temps de réseaux sociaux omniprésents et omniscients, il vaudrait mieux que les responsables gouvernementaux burundais s’assurent qu’il y a de la cohérence sur toute la chaîne de « nyabune », la fameuse quadripartite, une combinaison pour la surveillance du territoire composée de représentants de la population, de la milice imbonerakure, de l’administration locale, des services de renseignement, de la police et de l’armée burundaise.
Cependant, dans certains cercles de l’armée burundaise, les militaires ne sont pas plus inquiets que cela. Certes, les combattants de RED-Tabara ont accompli un exploit, en termes de tactique militaire. Ils ont pu passer presque inaperçus et s’infiltrer dans la forêt de la Kibira. Cependant, affirment ces militaires, le contingent aura rapidement de gros problèmes logistiques.

Comment ses combattants pourront-ils assurer leur ravitaillement en vivres alors que la population environnante est truffée d’Imbonerakure et est constituée majoritairement par de population hutu ? Laquelle population pourrait leur devenir rapidement hostile. A moins que, la population de la région traversée par le contingent de RED-Tabara n’ait déjà basculé, ne soit, en réalité, complice par son silence et ne soit devenue, au contraire, hostile au pouvoir en place.
Au Sud-Kivu, un nouveau mouvement de réfugiés burundais fuyant leur pays aurait été signalé dans deux camps de transit, à Sange et Kavimvira en RDC. Des camps proches de la frontière entre le Burundi et la RDC. Ce mouvement est-il lié à l’incursion des combattants de RED-Tabara ? Des centaines de personnes auraient-elles fui par crainte de représailles ? Auraient-elles anticipé une répression féroce ou des règlements de compte épouvantables ? Encore un mystère à élucider.
Résurgence de la haine « ethnique » ?

Par ailleurs, certains Tutsi burundais sont inquiets et ils en veulent à M. Alexis Sinduhije, réputé patron des RED-Tabara. Selon eux, l’attaque de ses combattants expose les Tutsi burundais à la vindicte du régime de Pierre Nkurunziza.
Ces Tutsi donnent, en exemple, les propos extravagants de M. Pasteur Habimana, un ancien du FNL-Palipehutu qui a revendiqué le massacre de 150 Tutsi congolais, les Banyamulenge, le 15 août 2004. M. Pasteur Habimana est connu pour sa haine atavique contre les Tutsi. C’est un chantre infatigable de la suprématie des Hutu opprimés par les Tutsi pendant 400 ans, déclare-t-il dans une audio devenue virale.
En outre, les Tutsi effrayés par l’aventure de RED-Tabara accusent Alexis Sinduhije de livrer « les enfants rescapés des massacres de 1993 » par pure ambition personnelle ! « Il n’aime pas ces jeunes dont il fait un outil pour réaliser ses ambitions politiques » , affirme un de ces Tutsi burundais réfugiés à l’étranger.

A l’heure du bilan qui devrait être effectué par tous les organes de sécurité de l’Etat burundais, les responsables devraient se poser plusieurs questions inquiétantes. Pourquoi le réseau de communication des Imbonerakure et du renseignement est-il pénétré et par qui ? Y a-t-il eu défaillance dans la surveillance du territoire ou complicité au sein des diverses composantes de la défense quadripartite ? Dans un pays normal, - mais le Burundi est-il un pays normal - après un fiasco aussi énorme, quelqu’un à la tête des corps de défense et de sécurité devrait démissionner spontanément ou être démis de ses fonctions.

A ce stade, croyez-vous avoir lu un passage palpitant d’un roman policier ? Pensez-vous avoir fait un horrible cauchemar ? Hélas, non ! Vous avez juste lu une chronique ordinaire, d’une guerre ordinaire, d’un jour ordinaire au Burundi. Où vas-tu, « Petit Pays » meurtri ? Vers quel destin cours-tu ? Vers ta perte, ton effondrement ou vers ta renaissance ?