Quand un dirigeant africain « renonce à un 3è mandat »

La semaine passée aura été marquée notamment par cette annonce surprise du président ivoirien Alassane Ouattara renonçant à un mandat supplémentaire. D’aucuns se demandent si cela est de bonne foi ou si ce sont « les parrains » qui le lâchent.

78 ans, Alassane Ouattara avait accédé au pouvoir en 2011, dans un bain de sang après son élection contestée en 2010 évinçant Laurent Gbagbo avec le soutien de la « communauté internationale » dont l’ONU et la France notamment. Connu pour une grande carrière politico-économique, ADO, de son surnom, avait alors été réélu pour un second mandat en 2015, et a alors changé la Constitution du pays en 2016, ce qui lui permettait par la suite, selon lui, de se représenter pour un autre mandat.

L’article 55 de ladite Constitution prévoyant 2 mandats présidentiels, il considérait alors que le vote de cette loi coïncidait avec son premier mandat. Sous un fond de contestation, il était attendu que le grand économiste de l’université pennsylvanienne proclame son intention de se représenter le 31 octobre prochain, mais hélas, à la surprise générale, il dit vouloir «  transférer le pouvoir à une jeune génération ».

Une décision gratuite ?

« Il avait pourtant évoqué son droit à la réélection, après avoir fait voter des amendements à la Constitution en 2016 à 90%, sur une participation de 40% »
, dira Dieudonné Bashirahishize, un juriste burundais. Et pourtant, il n’a même pas attendu juillet pour annoncer sa décision, comme c’était prévu. Selon le juriste, «  le président Ouattara aura vu le tort qu’occasionnent des mandats supplémentaires en Afrique et a voulu l’éviter pour son peuple  ».

Léonard Nyangoma, un chevronné politique burundais, lui, estime que c’est purement stratégique et plutôt «  une pression » de part et d’autre qui pousse ADO à faire ainsi. Pour lui, «  selon la forme de ce qui a été dit, on peut dire que c’est une bonne chose parce que la plupart des dirigeants africains veulent s’éterniser au pouvoir ». Mais, continue-t-il, « ce n’est pas que Ouattara aime tellement son pays, mais plutôt il a dû céder à une pression interne et externe suite au bilan négatif de son pouvoir  ». Nyangoma explique que « malgré des infrastructures construites grâce à ‘un lobbying facilité par son expérience avérée au FMI’, la population ivoirienne s’est appauvrie davantage.  » Plus de 50% de la population se trouverait en effet dans une extrême pauvreté avec un revenu de moins de 2$ par jour.

Et pourtant, dit le politicien burundais, «  du temps de Gbagbo, ce chiffre était moins de 40%. Et du temps d’Houphouët Boigny, moins de 33%. » Et d’ajouter : «  70% de la jeunesse sont en chômage, 80% des forêts dévastés ». Un bilan qui laisse à penser plutôt à un échec de pouvoir, pressé à partir.

Et la CEDEAO dans tout ça ?

Dans le grand bras de fer politico-économique entre la France et les pays de la zone CFA, Alassane Ouattara se sera illustré pro-français en annonçant publiquement, en présence du président français, au grand dam du reste des présidents de l’UEMOA, que l’Eco (futur remplaçant du FCFA) restera lui aussi associé à l’euro. Par le fait, Paris devrait conserver son rôle de garant financier pour les 8 pays de l’Union concernés par la réforme. Ouattara se faisait ainsi porte-parole de l’UEMOA, «  qui ne l’avait pas mandaté  », estime Nyagoma.

Toute cette pression aura donc poussé le politicien ivoirien à se retirer de la course électorale, voulant toutefois changer la constitution pour une 2ème fois en moins de 4 ans, pour « placer » un dauphin, et ainsi «  se protéger après avoir quitté la chaise présidentielle  », commente l’opposant burundais en exil.
Pour le moment, l’ancien chef de la rébellion Guillaume Soro, actuellement en France et sous le coup d’un mandat d’arrêt en Côte d’Ivoire, est le seul à s’être déclaré candidat. L’ancien président Henri Konan Bédié, qui aura 86 ans lors du scrutin, n’a lui pas écarté l’idée de se présenter.