Crise de change au Burundi : Quand le dollar "achète" les oignons

Une chute spectaculaire et inexpliquée du taux de change du dollar américain (USD) face au Franc Burundais (FBu) sur le marché parallèle a secoué l’économie burundaise cette semaine, suscitant une vague de réactions entre euphorie spéculative et mise en garde d’experts.
Alors que le taux de change officiel peine déjà à suivre la réalité du marché, cette volatilité soudaine met en lumière les déséquilibres structurels persistants et le risque de manipulation spéculative qui fragilisent le pouvoir d’achat des Burundais.
Le Dollar s’effondre : la "bonne affaire" qui inquiète
Jeudi dernier, le marché parallèle des devises a enregistré un pic inhabituel, avec des taux atteignant des niveaux jamais vus : 1 USD s’échangeait contre 5 300 FBu et 1 EUR contre 5 500 FBu (selon le témoignage de l’utilisateur X, Blaise Baconib). Ces chiffres contrastent brutalement avec le taux officiel de la Banque de la République du Burundi (BRB), historiquement très en deçà, et même avec les taux élevés habituels du marché noir.
Cette situation crée une brève fenêtre pour ceux qui détiennent des francs burundais et souhaitent acquérir des devises, comme l’exprime M. Baconib sur X :
"Burundi, à 13h32 : 1 $ = 5300 Fbu, 1 € = 5500 Fbu. Si j’avais beaucoup d’argent (Fbu) j’aurais directement acheté des devises 🤣. Je parie que dans quelques semaines, je les vendrais à des prix d’or lorsque cette frénésie spéculative aura été stoppée et stabilisée par la réalité des choses 🤣"
https://x.com/Baconib/status/1979153763387470105?t=VbbBfIK4m9TXVM0spBuAMQ&s=19
L’ironie de l’expression populaire "quand le dollar achète les oignons" traduit l’ampleur de l’inflation et de la dépréciation passée, où le billet vert est devenu un étalon plus stable que la monnaie nationale pour les biens de première nécessité.
Manipulation du marché ou prophétie auto-réalisatrice ?
Face à cette volatilité, les experts appellent à la prudence. Le Professeur Ndenzako, expert en Économie, met en garde contre une interprétation hâtive, écartant l’idée d’une unification rapide des taux de change ou d’une amélioration structurelle soudaine.
Selon le Prof. Ndenzako, le phénomène observé s’apparente à une "Manipulation du marché et prophétie auto-réalisatrice" :
"Ce qui se passe s’appelle “Manipulation du marché et prophétie auto-réalisatrice”. Seuls ceux qui ont accumulé des BIF sous le matelas peuvent faire ce que tu aurais fait et pourront en profiter - stratégie gagnante comme je l’ai dit."
Il souligne que cette flambée de la demande et du taux pourrait être l’œuvre d’acteurs disposant d’importantes liquidités en francs burundais cherchant à forcer la main de la Banque Centrale ou à tirer profit de l’arbitrage futur :
"C’est l’équivalent d’une attaque spéculative quand on veut forcer une banque centrale à dévaluer."
L’expert rappelle que cette situation ne reflète pas une amélioration fondamentale des réserves de devises du pays, lesquelles restent notoirement faibles et ne couvrent que très peu de mois d’importations, conduisant à une inflation galopante (estimée à plus de 30% en 2025 selon le FMI) et à des pénuries récurrentes de produits essentiels (carburant, médicaments).
Le défi des réformes monétaires
Cette crise de confiance et cette spéculation soulignent l’échec de la politique de double taux de change et la difficulté pour la Banque Centrale à contrôler le marché. Bien que des réformes aient été initiées (dont une dévaluation en 2023), l’écart entre le taux officiel et le taux parallèle a souvent dépassé 100%, alimentant le marché noir et aggravant la pénurie de devises pour les importateurs légaux.
Le Prof. Ndenzako conseille vivement aux observateurs et aux acteurs économiques de "modérer leur optimisme et d’agir prudemment", insistant sur le fait que la situation actuelle résulte d’une pression spéculative et non d’un changement structurel. Le système bancaire lui-même pourrait être contraint de limiter les retraits en Francs Burundais pour endiguer la spéculation, comme l’a suggéré l’expert.
Pour une stabilité durable, le Burundi devra s’attaquer aux causes profondes du déficit en devises, notamment en renforçant la production locale, en encourageant les exportations et en assurant une gouvernance économique transparente afin de regagner la confiance des investisseurs et des partenaires internationaux.
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